J’en ai parfois parlé ici. Discrètement. Il est de ces choses que l’on expose qu’à ceux que l’on sait proches et bienveillants. Heureusement, des complexes, j’en ai peu.
J’aimerais certes avoir les chevilles plus fines, les genoux moins tombants, la peau plus hâlée, maigrir en voyant du chocolat. Mais avant tout, j’aimerais ne pas avoir… de cheveux blancs. (Rappel utile : j’ai 37 ans à l’heure où j’écris ce billet.)
J’ai réfléchi, tourné et retourné 1000 fois le sujet.
Le problème avec les cheveux blancs (ou les gris), c’est qu’il n’y a que 2 choix : les accepter ou les cacher. Basique, me direz-vous. Sauf que. Nez proéminent, seins discrets, ventre rebondi, oreilles prêtes au décollage, peau phosphorescente, cheveux ingérables, rougeurs… Il y a là un 3e choix. Le corriger plus ou moins durablement. Pas de problème donc puisqu’il y a une solution.
Pragmatique, j’ai d’abord procédé à ce que les femmes font “naturellement” : gommer une particularité physique ne répondant pas aux codes socialement admis de beauté.J’ai commencé le henné alors que je vivais encore chez mes parents. Joli reflet auburn qui allait bien avec ma peau de rouquine et produit sain que je pouvais appliquer à la maison, c’était un bon deal pour une pré-bobo.
J’ai tenté “un coup de soleil” (des mèches) qui a eu raison de la journée (oui presque) de la coloriste et qui ne m’a pas convaincue.
Puis les premières marques d’hérédité sont apparues. Chez nous, les cheveux blancs sont histoires de famille. J’ai alors tenté un camouflage soft avec des produits de coloration sans effet racine et sans ammoniaque.
Puis il a fallu se rendre à l’évidence : la transparence était disgracieuse et il fallait taper plus fort. Et plus souvent.
Des années durant, je rendais donc visite à ma coiffeuse préférée. J’y passais du temps (beaucoup de temps) et j’y laissais de l’argent (Beaucoup d’argent). J’étais très satisfaite malgré les tentatives régulières de mon cuir chevelu de me ramener à la raison.
Pendant ce temps-là, l’invasion progressait sûrement.
J’ai fait une tentative de colorations 100% végétal (rappelez-vous ! Lien) mais la perspective régulière était beaucoup beaucoup trop onéreuse.
J’ai alors fait des tentatives de mélanges de poudres chez moi…Henné, indigo et autres poudres magiques pour que finalement mes cheveux blancs réapparaissent illico malgré des heures de pose sous cellophane tout en transpirant l’épinard.
Niet. Ma foi “green” s’est envolée (c’est dire la taille du complexe) et je suis revenue au chimique (plutôt satisfaite d’ailleurs d’Inoa, mais c’est une autre histoire).
Pendant les 2, 3 dernières années, je m’essayais à la coloration professionnelle à domicile. Tubes, oxydant, pinceaux, gants,… je devenais chimiste et coloriste d’un soir. Toutes les 3 semaines. Parfois plus souvent.
Dès l’apparition des premières racines, je remettais çà.
De l’esclavage donc. Pour un résultat imparfait (même avec les cheveux courts, colorer correctement le dos de ma tête était compliqué).
J’ai pensé à la perruque (mon mec m’a regardé avec désolation).
Et puis j’ai pensé à les assumer (miracle ! Une lueur d’intelligence!).
Puis j’ai observé les femmes dans la rue. Celles qui affichaient joliment leurs cheveux blancs avaient facilement 10 ans de plus que moi. Pour celles plus jeunes, je me disais que ça faisait sorcière (pardon), que ça faisait négligé (pardon encore), que ça vieillissait… Et j’ai continué les couleurs. J’ai sondé mes amies évidemment. Il y a celles qui criaient à la négligence. Celles qui pensaient que c’était beau et que cela m’irait bien et qui citaient une telle ou une telle à qui cela allait (très) bien.
(Notons ici que nous ne nous posons jamais la question pour les hommes. Nous trouvons toujours cela séduisant. Ah cette si désirable maturité masculine… !) Je pose çà là.
Après avoir suivi la transformation de Sophie Fontanel sur Instagram, mes yeux ont trainé sur “les 30 coiffures inspirantes de stars aux cheveux blancs ou gris” (http://www.lexpress.fr/styles/diapo-photo/styles/coiffure/cheveux-blancs-cheveux-gris-les-coiffures-de-stars_1755311.html) un article de l’Express Styles. Souvent magnifiques, pas une avait moins de 50 ans. Alors pourquoi devrais-je m’y plier maintenant ?
Et puis il y a eu ce week-end.
De bonne heure samedi, je suis allée chez le coiffeur rafraîchir ma coupe courte. En sortant, jouant sur les colonnes de Buren, mon amoureux me lâche “qu’est-ce que t’es belle avec tes cheveux blancs!”.
Moment de silence. De gêne. Horrification presque. Honte certainement.
J’étais censée être belle (ma couleur datait de 2 semaines) mais le plus visible était vraisemblablement mes cheveux blancs. Etais-je dans le déni depuis si longtemps?Je lui ai alors demandé des preuves. Hésitant, il a photographié ma tête. Devant, derrière, sur les côtés.Ce fut un électrochoc. L’arrière de mes oreilles est blanc quand 70% de ma tête est poivre et sel. C’est une R E A L I T E.
J’étais d’abord dans un état second puis j’ai parlé. Heureusement mon amoureux sait être “une copine” et a écouté sans relâche ma détresse capillaire.Beaucoup de choses sortaient. Le regard qu’il pouvait me porter. Celui des autres. Le mien. Le fait de vieillir. La beauté. La féminité. Le style. Beaucoup de sujets pour lesquels il m’est encore bien difficile de trancher ou d’apporter un avis clair.
Depuis il n’est pas une amie à qui je n’en parle pas. J’y pense sans cesse. Je regarde toutes les chevelures des femmes dans la rue (et je ne vois que des racines horribles ou des mamies argentées). J’aimerais aller jusqu’au bout de ma transformation. Au moins pour l’expérience, le défi. Comme un geste de protestation. Mais y arriverai-je ?
Moi la coquette, vais-je supporter cette interminable période de transition (une chance que mes cheveux soient courts), mi-grise mi-colorée? Comment vais-je assumer ces signes de “négligence” que je reproche aux autres?
Vais-je continuer à me trouver jolie et désirable ? Vais-je avoir envie de compenser cette part de féminité perdue ? Quel regard les autres vont-ils poser sur moi et comment vais-je le supporter? Mon amoureux me trouvera-t-il encore jolie? Comment vais-je prendre le fait que de dos j’aurai 50 ans quand mon visage en fera 20 de moins (on me disait jusqu’alors que je faisais plus jeune…)? Vais-je réussir à en faire un objet de séduction, de beauté? etc. etc.
Et au-delà de mon nombril, pourquoi les femmes se teignent-elles autant les cheveux? (je vais chercher des chiffres) Pourquoi assumons-nous si peu nos signes particuliers, nos héritages? Comment nous, Parisiennes, Françaises, féministes, acceptons-nous de plier devant le sexisme capillaire (je rappelle que sur les hommes, les cheveux blancs, “c’est charmant”) ? Comment résister devant l’abondance de projection de femmes fantasmées, à la plastique parfaite?
Moi la féministe, et si je finissais chez le coiffeur teinte en blonde? Et si ma capacité de résistance aux diktats de la beauté était un leurre? Et si je découvrais ma faiblesse, ma lâcheté, comment continuer à m’aimer?
Promis, je vous en reparle ici bientôt. Preuves à l’appui.